Ruimte voor actuele kunst

actueel
LLS Paleis
2024

Yann Freichels – Bücher brennen leicht und heizen kaum

05.05.2024 — 16.06.2024

 

Opening/Eröffnung zondag/Sonntag 05/05 om/um 15 uur/Uhr

Tentoonstelling/Ausstellung tot/bis 16/06

Donderdag – zondag/Donnerstag – Sonntag, 14-18 uur/Uhr
en op afspraak/und nach Vereinbarung

Andere openingstijden tijdens/Andere Öffnungszeiten während
Antwerp Art Weekend:
Donderdag/Donnerstag 16/05 van/von 12-21 uur/Uhr
& vrijdag/Freitag 17/05 – zondag/Sonntag 19/05 van/von 12-18 uur/Uhr


Une dramaturgie du temps suspendu

Les images de Yann Freichels figent un moment d’histoire dont on ne connaîtra ni le début ni la fin, même si parfois la scène qui s’offre à nos yeux nous permet d’émettre des hypothèses. Ainsi en vat- il pour ces deux toiles qui se répondent, Zwei rote Sterne et Stadtmusikanten, où l’on voit un homme endormi, la tête affalée sur une table. La position du personnage, les bouteilles ou canettes près de lui, un verre brisé, une tache de vin sur la nappe, ces éléments suggèrent au premier regard un épisode d’ivrognerie. On peut également trouver une scène bien circonscrite et aisément identifiable dans cet autre tableau, How beauteous mankind is!, où trois femmes entourent une couveuse dans un environnement clinique marqué, à l’arrière-plan, par un écran de monitoring. Mais faute de contexte, le sens de la scène échappe. Est-il question d’une naissance prématurée, difficile ? On ne le saura pas. Le titre de l’oeuvre suggérerait plutôt une vision heureuse des choses de notre « belle humanité ». Mais le doute s’installe quand on sait que cette citation de Shakespeare, issue de La Tempête, est un leitmotiv ironique de la dystopie d’Aldous Huxley Le meilleur des mondes.

À d’autres moments, les personnages semblent surgir de nulle part : ils sont là, un homme, une femme, un enfant, la tête tournée vers un horizon qui nous échappe. On ne sait rien de ce qui les rassemble ; leurs postures, leurs regards vides ne révèlent pas ce qu’ils éprouvent ni ce qui les anime. Quels sens dès lors accorder à leur présence ? Le récit manque, qui pourrait nous l’apprendre. Ils sont là et nous interpellent par leur fixité, mais aussi par une sorte de frémissement, de vibration dans les traits du pinceau, dans la sinuosité des couleurs qui modèlent les corps comme les vêtements et leur confèrent une tonalité dramatique, voire épique, au sens théâtral du terme.

Pour solliciter la conscience critique du spectateur, le dramaturge Bertolt Brecht préconisait de recourir à des moyens qui contribuent à lui faire prendre ses distances par rapport à l’action, qui provoquent en lui un effet d’étrangéification (Verfremdungseffekt) destiné non pas à s’écarter du réel, mais au contraire à mieux l’appréhender par une approche dialectique. Ceci n’est pas une pipe, méfions-nous des imitations, la mimesis nous leurre, la représentation du monde n’est pas le monde lui-même, mais elle permet, sous certaines conditions, de mieux le comprendre.

L’un des moyens utilisés par Brecht dans son répertoire épique, pour contrer les risques d’illusion théâtrale et d’identification cathartique, consistait à insérer des commentaires dans le déroulement de l’action, parfois par l’intermédiaire d’un choeur ou juste par une phrase ou un mot tracés sur une simple pancarte brandie par un acteur.

Les inscriptions placées par Yann Freichels dans ses peintures exercent-elles une fonction similaire ? Elles nous obligent en tout cas à dépasser l’anecdote pour chercher au-delà de la figuration ce que le tableau nous donne à penser. Elles provoquent ce faisant une mise à distance de ce qui est représenté, en instaurant un dialogue entre différents systèmes de signes.

Retournons vers nos ivrognes abrutis de sommeil. Rêvent-ils, ronflent-ils, rabâchent-ils leurs illusions perdues ? Les deux tableaux ne montrent rien de tel. Mais dans leur nudité narrative, ils nous invitent à déchiffrer les rapports proprement visuels qui s’établissent entre les composantes de l’image. Ainsi, dans le premier, une correspondance se dégage entre la partie haute et la partie basse de la composition, entre ce qui repose sur la table (la tête, les vidanges) et la nappe qui retombe. Les rides qui se dessinent sur le front de l’homme semblent se prolonger, par un même trait sinueux, dans les plis de la nappe ; les étoiles sur la bouteille et la canette se répètent en tant que motifs du tissu. La même structuration se reconnaît dans le second tableau, où les drapelets suspendus à une corde ont leurs équivalents dans les formes claires en triangle qui bordent la banquette sur laquelle l’homme a appuyé sa tête. Cette guirlande de drapeaux évoque un moment de fête qui expliquerait la beuverie. Mais l’inscription sur l’écharpe que l’homme porte en bandoulière complexifie la donne : que viennent faire ici l’Europe et les étoiles de sa bannière ? Le titre du tableau conduit à un autre décrochage dans l’interprétation que l’on peut en faire : « Les musiciens de la ville ». Ces mots en appellent aussitôt un autre pour former le titre d’un célèbre conte des frères Grimm, Die Bremer Stadtmusikanten, qui relate les manoeuvres astucieuses d’un âne, d’un chien, d’un chat et d’un coq unissant leurs savoir-faire pour échapper à la mort à laquelle les destinent leurs maîtres respectifs parce qu’ils sont trop vieux pour leur être encore utiles. Le tableau fait clairement allusion à ce conte : en effet, les silhouettes des animaux sont esquissées comme par une main d’enfant sur les quatre drapelets suspendus. Mais à l’autre bout de la composition, sur la surface inférieure de la toile, c’est un animal d’un tout autre type qui est représenté : l’aigle impérial et ses attributs de puissance. Nous voici donc emportés bien loin d’un songe d’ivrogne. Le tableau se charge de significations multiples. L’apologue moral véhiculé par le conte pour enfants se heurte à l’interrogation politique des symboles de pouvoir. Les moments d’une histoire individuelle, celle des protagonistes anonymes des tableaux, sont confrontés, par le dispositif pictural, à des fragments d’histoire collective.

Et de tableau en tableau, le mouvement de cette Histoire inquiète : « Après une profonde saoulerie, les bruits des bottes approchent », peut-on lire sur une toile qui représente une scène de baiser. Comme si l’innocence amoureuse n’était pas permise, comme si sur chaque moment planait la menace d’une catastrophe…

L’Histoire, c’est également celle des arts, de la culture, des oeuvres et des thèmes qui se répètent en écho à travers le temps. La violence sociale et politique y est tout aussi présente. Dans le Faust de Murnau, on voit la malheureuse Gretchen, bannie de la société parce qu’elle est fille-mère, errer dans les rues au milieu d’un vent glacial avec son enfant. Freichels reprend la thématique du film, mais les vêtements des deux personnages sont d’aujourd’hui et les cerises, qui figurent aussi dans d’autres tableaux, relèvent d’un registre différent, plus symbolique ; temps des cerises ou temps de l’enfance.

En figeant les scènes qu’elle nous fait voir, en suspendant le temps de leur déroulement, la peinture se donne à elle-même le temps de se charger d’histoires en superposant les indices narratifs qui renvoient à des récits de natures diverses. De cette manière, elle revendique sa capacité à interroger notre époque par son ancestrale matière.

Carmelo Virone, avril 2024.

 

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